La Cour d’appel de Paris rend une décision historique qui invalide le « barème Macron » (arrêt du 16 mars 2021)

Cour d’appel de Paris, pöle 6 chambre 11, RG n° 19/08721, af. Mme X c/ MUTUELLE PLEYEL CENTRE DE SANTE MUTUALISTE

 

C’est assurément un arrêt qui fera date : la Cour d’appel de Paris a rejoint le cercle des juridictions prud’homales réfractaires à l’application de l’article L 1235-3 du Code du travail.

Pour rappel, cet article, institué par l’ordonnance « Macron » n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 prévoit que, en cas de licenciement abusif, l’indemnisation du salarié doit obligatoirement être enfermée entre un plancher et un plafond strictement prévus par le texte. Et ces bornes sont déterminées uniquement par l’ancienneté.

De vastes débats entourent ce mécanisme puisqu’il interdit ni plus ni moins au juge d’apprécier lui-même le préjudice. L’indemnisation qu’il fixera sera obligatoirement encadrée par des montants forfaitaires. Et par exemple, un salarié licencié alors qu’il a 58 ans, qu’il est handicapé et qu’il est père de 3 enfants, bénéficierait au maximum d’une indemnité équivalant à 2 mois de salaire. Le salarié âgé de 30 ans, parfaitement valide, sans enfants à charge… aurait exactement le même droit.

Les textes internationaux que la France a conclus interdisent pourtant la mise en place d’un tel mécanisme (article 10 de la convention n°158 de l’OIT et article 24 de la Charte des droits sociaux européens) puisqu’ils prévoient que le salarié doit bénéficier d’une « réparation adéquate » de son préjudice. Ce qui suppose évidemment que le juge puisse apprécier librement la réparation qu’il entend allouer, sans contraintes.

Plusieurs juridictions prud’homales ont donc décidé de refuser d’appliquer l’article L 1235-3 du Code du travail ; comme les Conseils de prud’hommes et les Cours d’appel l’avaient déjà fait auparavant lorsque la loi avait mis en place le Contrat nouvelle embauche. L’on retiendra notamment la position du Conseil de prud’hommes et de la Cour d’appel de Grenoble, particulièrement à la pointe de ce combat.

Or aujourd’hui la principale Cour d’appel de France, la Cour d’appel de Paris, a décidé elle également de ne pas appliquer ce barème.

L’argumentation suivie consiste à considérer que le juge doit apprécier in concreto, en fonction de la situation du salarié, si le plafond prévu par le texte est adapté ou non à cette situation. S’il ne l’est pas, le Juge estime que l’atteinte portée aux droits du salarié est disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi par l’article L 1235-3, article qui doit donc être écarté.

Dans l’affaire jugée le 16 mars 2021, la Cour a pris soin d’apprécier le manque-à-gagner que la salariée avait subi chaque mois depuis son licenciement abusif et les autres éléments concrets qui démontraient son préjudice. Le plafond aurait limité son indemnisation maximale à 17 615 € ; or la Cour lui a alloué une indemnité de 32 000 €.

L’on ne peut que saluer cette décision qui devrait, espérons-le, convaincre les juridictions encore dans le doute : le barème peut et doit être écarté lorsque la situation l’exige. Il ne reste désormais plus qu’à attendre la décision que prendra la Cour de cassation (qui n’aura aucun rapport avec l’avis émis le 17 juillet 2019) ; étant précisé qu’une organisation syndicale a déjà assigné la France devant les instances européennes pour faire condamner le mécanisme.

Pourquoi votre avocat est en grève

Le gouvernement a décidé de réformer les régimes de retraite en profondeur. Malheureusement cette action a lieu sans concertation avec les professions concernées, sans discussion, et surtout sans que le gouvernement n’en mesure les conséquences. Le Conseil d’État l’a lui-même indiqué le 24 janvier 2020 : les « projections financières du projet sont lacunaires ».

La profession d’avocat est très durement touchée par ce projet. Et les conséquences seront dramatiques.

Les simulations démontrent que pour les avocats dont le revenu est inférieur ou égal à 40 000 € par an, les cotisations vont doubler en passant de 14 % à 28 % ; alors que la pension de retraite va baisser, en passant de 1 400 € à 1 000 €… Et cela concerne plus de la moitié des avocats en France.

Il faut être particulièrement transparent : contrairement aux idées reçues, un revenu de 40 000 € par an n’est pas du tout un salaire de 40 000 € par an. Car c’est bien sur ce revenu que l’avocat va payer ses charges.

Bien évidemment, de nombreux avocats génèrent un revenu bien inférieur à 40 000 € par an. Il s’agit surtout d’avocats qui acceptent de défendre les justiciables au titre de l’aide juridictionnelle, avec des indemnités très inférieures au travail réellement consacré sur le dossier. Ces avocats, immanquablement, vont disparaître avec la réforme des retraites telle qu’elle est actuellement projetée.

La situation sera donc moins d’avocats présents sur le territoire ; notamment dans les villes de taille moyenne voire petites (les jeunes avocats préféreront s’installer dans une grande ville, pour avoir plus de sécurité) ; moins d’avocats qui interviennent au titre de l’aide juridictionnelle ; et donc au final, un accès au droit totalement détérioré pour le justiciable.

Bien sûr, cette augmentation des cotisations impactera également le montant des honoraires qui sont sollicités : et là encore, l’accès au droit sera dégradé, avec finalement l’accès à l’avocat qui sera « réservé » aux justiciables qui peuvent en assumer le coût.

Sans parler évidemment des conséquences sur l’emploi : le personnel des cabinets sera lui aussi durement touché (licenciements économiques).

Tout ceci, alors qu’aujourd’hui, le régime de retraite des avocats est un régime sain et équilibré.

Les avocats gèrent une Caisse séparée. Les avocats actifs cotisent pour les avocats retraités : aucune autre profession, aucun autre salarié ne paye de cotisation pour les avocats. Bien au contraire : parce que la Caisse est très bien gérée, elle est excédentaire : chaque année les cotisations perçues des avocats sont supérieures aux pensions de retraite payées. Et chaque année, notre Caisse reverse 100 millions d’euros au régime général, au titre de la solidarité nationale ! C’est une fierté de pouvoir participer à cette solidarité et personne ne le remet en cause. Mais cela rend le projet actuel d’autant plus injuste.

Et toujours parce que notre Caisse est bien gérée, elle a alimenté des réserves ; tout simplement parce que nos gestionnaires ont compris il y a plusieurs dizaines d’années que la population des avocats vieillissait et qu’il fallait assurer l’avenir. Ainsi, nous sommes certains de pouvoir financer les retraites des nombreux avocats qui vont quitter la profession dans les années 2020 et 2030.

L’une des réponses du gouvernement pour amoindrir les effets de la réforme serait d’utiliser ces réserves pour « amortir » la réforme, pour les retraites à venir. C’est une non-solution. Le problème n’est que retardé. Que se passera-t-il lorsque les réserves seront épuisées ? Ce qui a été indiqué ci-dessus : la disparition de nombreux cabinets, désormais incapables d’assumer ces charges.

Voilà pourquoi aujourd’hui votre avocat est en grève. C’est bien sûr pour défendre son régime, qui ne coûte rien à personne. Mais c’est surtout pour défendre sa profession, et l’accès au droit du justiciable dans la France de demain. Cet accès au droit est une valeur essentielle de notre démocratie.

Le transfert du contrat de travail et la collusion entre l’ex- et le futur employeur

L’article L 1224-1 du Code du travail a été créé pour protéger le salarié. Il pose un principe absolu : lorsque l’identité de l’employeur change en raison (notamment) d’une vente du fonds de commerce ou du rachat par une autre société, le contrat de travail du salarié est maintenu, dans toutes ses clauses, sans qu’il ne soit besoin de signer un avenant.

C’est donc une hypothèse exceptionnelle qui a été tranchée par la Cour d’appel de Poitiers, puis par la Cour de cassation : l’hypothèse dans laquelle le transfert du contrat a été orchestré… précisément pour qu’il soit licencié.

Dans cette affaire un agent d’assurances avait plusieurs agences, situées dans des villes proches les unes des autres. Souhaitant vendre l’un des établissements, il a jugé utile d’affecter sa salariée dans une agence précise, en sachant pertinemment qu’il n’y avait pas un volume de dossiers suffisant pour justifier son poste de travail là-bas ; puis il a vendu à une autre société l’activité de cette agence. Le contrat de travail de la salariée a donc été transféré à ce nouvel employeur ; et sans surprise, quelques semaines plus tard, elle avait le « plaisir » de recevoir sa lettre de licenciement pour motif économique, dans la mesure où le portefeuille de clients n’était pas suffisant pour maintenir son poste de travail.

La Cour d’appel de Poitiers a rendu une décision parfaitement pertinente, validée par la Cour de cassation. Elle a constaté que tout avait été fait pour aboutir au licenciement programmé de la salariée, et qu’il y avait eu une collusion entre les deux sociétés. De manière très intéressante, le juge a décidé que dans ces conditions il fallait purement et simplement écarter l’application de l’article L 1224-1 : il a considéré que finalement le contrat de travail n’avait jamais été transféré, car l’utilisation du mécanisme de l’article L 1224-1 était frauduleuse.

C’est donc « l’ancien » employeur (en fait finalement le seul employeur que la salariée aura eu) qui a été reconnu responsable, et qui est condamné à payer des dommages et intérêts, notamment au titre du licenciement abusif.

Cass. soc. 25 septembre 2019 n° 17-24090

Rupture conventionnelle : attention au piège pour le salarié

Résumé : Le salarié perçoit les mêmes indemnités, qu’il signe une rupture conventionnelle ou qu’il fasse l’objet d’un licenciement (sauf s’il s’agit d’un licenciement pour faute grave) ; et il est traité de la même manière au titre du chômage.

A cette « petite » exception près que si l’indemnité de rupture conventionnelle est supérieure au minimum applicable, un délai de carence spécifique sera appliqué et le paiement des allocations de retour à l’emploi sera retardé.

Or dans certains cas il perd des droits importants, qui lui auraient été accordés s’il avait été licencié. Par ailleurs, le salarié peut contester son licenciement devant le conseil de prud’hommes et ainsi obtenir des dommages-intérêts en cas de licenciement abusif ; ce qui n’est pas possible en cas de conclusion d’une rupture conventionnelle.

La rupture conventionnelle, créée par la loi du 25 juin 2008, a incontestablement bouleversé les mentalités et les pratiques en matière de rupture du contrat de travail à durée indéterminée. L’accord des deux parties (le salarié et l’employeur) est au cœur du mécanisme. Dans l’esprit du législateur, le contrat de travail qui a été conclu d’un commun accord devait pouvoir être rompu d’un commun accord, de manière sécurisée mais avec un formalisme réduit, sous le contrôle de l’inspection du travail.

La pratique est toute autre. Bien souvent c’est l’employeur qui prend l’initiative de proposer la rupture conventionnelle, parce qu’il souhaite rompre le contrat de travail, mais qu’il sait qu’il n’a pas de motif pour pouvoir prononcer un licenciement. Voire même, c’est parfois le médecin du travail qui invite le salarié à la demander auprès de son employeur, pour éviter de prononcer une inaptitude (alors qu’il en a l’obligation dès lors qu’il constate médicalement cette inaptitude). Et bien souvent le salarié accepte, satisfait d’éviter une pression quotidienne et de pouvoir bénéficier de l’indemnisation chômage. Malheureusement le salarié ignore bien souvent à quels droits il renonce en acceptant la rupture conventionnelle, droits qui peuvent être particulièrement importants.

L’objet de cet article est de les rappeler.

Il faut tout d’abord insister sur le fait que la raison pour laquelle la rupture conventionnelle a été conclue ne peut plus être discutée par la suite.

Lorsqu’il est licencié, le salarié peut toujours contester devant le Conseil de prud’hommes le licenciement dont il a fait l’objet, pour demander qu’il soit jugé abusif ; car le juge doit analyser la décision prise par l’employeur. Le salarié peut même parfois contester sa démission et estimer qu’elle doit produire les mêmes effets qu’un licenciement abusif.

Mais lorsqu’il signe la rupture conventionnelle, il s’interdit en principe de la contester en critiquant les raisons pour lesquelles elle a été signée. Dès lors que les deux parties ont signé cet acte, le juge n’a pas à en apprécier la raison. Le code du travail permet certes à chacune des parties de contester la rupture conventionnelle dans un délai de douze mois, lorsqu’elle estime que son consentement a été vicié, qu’elle a été abusée par l’autre partie. La jurisprudence de la Cour de cassation est cependant extrêmement sévère pour admettre un tel cas de figure. Ainsi par exemple, un climat conflictuel, une procédure disciplinaire enclenchée avant la proposition et la signature d’une rupture conventionnelle sont indifférentes.

La Cour de cassation estime manifestement que le formalisme prévu par la loi en matière de rupture conventionnelle est suffisant pour protéger le salarié : notamment, le code du travail prévoit un entretien préalable obligatoire, un délai pour se rétracter s’il le souhaite, et l’inspecteur du travail doit homologuer la convention pour rendre la rupture définitive et efficace. Malheureusement on s’aperçoit en pratique que bien souvent l’entretien préalable n’a jamais lieu (l’on mentionne le jour de signature de la rupture la date de l’entretien qui n’a en réalité jamais eu lieu), que le salarié n’a aucun délai pour se renseigner, et que le contrôle de l’inspecteur du travail se limite très généralement au montant de l’indemnité prévue et aux respects des délais, faute de temps. Quant à la possibilité de se rétracter, on imagine difficilement comment un salarié qui accepte la rupture conventionnelle sous la pression de son employeur pourrait sérieusement l’envisager, car cela signifierait un retour sur son poste de travail et de possibles représailles.

Par ailleurs, la loi accorde des avantages très importants au salarié, lorsqu’il fait l’objet de certains types de licenciement. Par exemple, le salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle est protégé : l’article L 1226-9 du Code du travail interdit qu’il fasse l’objet d’un licenciement, sauf en cas de faute grave ou « d’impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’accident ou à la maladie », et ce tant que dure la suspension du contrat de travail (c’est-à-dire tant que le salarié n’a pas fait l’objet d’une ou de deux visites de reprise devant le médecin du travail). Le licenciement prononcé malgré cette interdiction est nul, et le salarié peut alors demander une indemnisation importante devant le Conseil de prud’hommes. En outre, que l’arrêt de travail fasse suite à un accident du travail ou qu’il s’agisse d’une maladie « simple », une procédure spécifique de licenciement s’applique lorsque l’arrêt de travail a duré au moins 30 jours : le salarié doit être examiné par le médecin du travail dans les 8 jours de la fin de l’arrêt, pour que celui-ci apprécie ses capacités à reprendre ou non son emploi. Si cette reprise est impossible le médecin du travail rend un avis d’inaptitude. L’employeur doit alors chercher un poste de reclassement ; s’il n’y en a pas, il doit licencier le salarié, qui percevra donc son indemnité de licenciement et qui pourra solliciter l’indemnisation chômage. S’il ne licencie pas, l’employeur a l’obligation de reprendre le paiement des salaires après un mois, même si le salarié ne peut pas travailler. Si l’arrêt de travail était d’origine professionnelle (accident du travail ou maladie professionnelle), son indemnité de licenciement sera doublée, et il percevra en outre le salaire correspondant au préavis qu’il aurait dû exécuter.

Mais ces règles protectrices s’effacent totalement lorsqu’une rupture conventionnelle est conclue et que le salarié n’a pas été licencié. La Cour de cassation juge que « la rupture conventionnelle peut valablement être conclue au cours de la période de suspension du contrat de travail consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle » (arrêt du 30 septembre 2014 n° 13-16297). Ce qui signifie, en pratique, que le salarié quitte alors son emploi avec la seule indemnité de rupture conventionnelle, dont le montant est au minimum égal à l’indemnité de licenciement… alors qu’il aurait pu obtenir une indemnité doublée de licenciement, une indemnité compensatrice de préavis, et qu’il aurait pu contester son licenciement devant le juge (si par exemple un poste de travail disponible et correspondant à ses capacités ne lui avait pas été proposé).

La même chose se retrouve dans le licenciement pour motif économique. Alors que dans un tel cas la loi protège le salarié, en lui offrant un maintien de salaire bien plus important par Pôle emploi, la rupture conventionnelle va lui faire bénéficier de l’indemnisation Assédic de droit commun.

Le constat est donc simple : dans de nombreuses hypothèses, il n’y a pas d’intérêt pour le salarié à accepter la rupture conventionnelle. En cas d’acceptation, il percevra bien souvent l’indemnité minimale à laquelle il aura droit, du même montant que l’indemnité de licenciement. Il ne bénéficiera pas du préavis, et il ne pourra pas contester la rupture du contrat devant le juge prud’homal. Insistons sur ce point : le salarié est traité exactement de la même manière par Pôle emploi (sous la réserve évoquée ci-dessus), et perçoit les mêmes indemnités, qu’il signe une rupture conventionnelle ou qu’il fasse l’objet d’un licenciement (sauf s’il s’agit d’un licenciement pour faute grave). Le montant de son indemnité de rupture est le même (indemnité de licenciement ou indemnité de rupture conventionnelle), et ses droits au chômage sont identiques. La seule différence tient au fait que le salarié peut contester son licenciement devant le conseil de prud’hommes et ainsi obtenir des dommages-intérêts en cas de licenciement abusif.

Enfin, insistons sur le fait qu’il est impossible de conclure une rupture conventionnelle sans le consentement et l’accord du salarié : celui-ci doit obligatoirement être d’accord et signer le document. Le salarié doit donc être pleinement conscient des avantages dont il se prive ; et dans ces conditions, il est parfaitement fondé à négocier les conditions de son départ. L’indemnité qui doit lui être versée correspond, au minimum, à l’indemnité de licenciement qu’il aurait perçu s’il avait été licencié ; mais rien n’interdit évidemment que ce montant soit plus élevé. Et si les deux parties doivent être d’accord sur le principe même de la rupture du contrat de travail, elles doivent l’être également sur les conditions de cette rupture.

En matière de prise d’acte, peu importe l’ancienneté des faits désormais

La Cour de cassation vient de rendre un arrêt le 19 décembre 2018 (n° 16-20522), qui s’avère particulièrement intéressant, et qui pose ou rappelle des règles fondamentales sur des sujets variés. Ainsi la Cour précise qu’une action en requalification du contrat de travail à temps partiel en un contrat à temps complet n’est pas soumise à la prescription de 2 ans, mais aux règles de prescription applicables en matière de rappels de salaires. Et elle rappelle que le juge doit obligatoirement calculer la somme due au salarié, lorsque celui-ci forme une demande mais que le juge conteste la manière dont il l’a calculée.

Voilà pour « l’accessoire ».

Mais là où cette décision est particulièrement intéressante, c’est qu’elle constitue un revirement de jurisprudence en matière de prise d’acte de la rupture du contrat de travail. Habituellement, dans ce type de rupture, le juge déboutait le salarié de sa demande lorsque les faits reprochés à l’employeur étaient anciens. C’est ce que la Cour d’appel de Lyon avait fait, dans une affaire dans laquelle une salariée avait été recrutée en 2006, et avait pris acte de la rupture de son contrat de travail en 2013. Et dans son courrier, elle reprochait des manquements qui duraient depuis son embauche, sans s’en être jamais plaint auparavant.

La Cour d’appel, suivant la jurisprudence jusque-là classique, avait considéré que les faits étaient anciens et que la prise d’acte s’analysait en une démission.

La Cour de cassation censure cette décision : « En se référant uniquement à l’ancienneté des manquements imputés par la salariée à l’employeur, alors qu’il lui appartenait d’apprécier la réalité et la gravité de ces manquements et de dire s’ils étaient de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail », la Cour d’appel n’a pas correctement statué.

L’apport de cet arrêt semble considérable : par sa rédaction, il signifie que le juge ne peut pas se contenter d’écarter les faits anciens : il doit appliquer la méthode d’appréciation classique en deux temps, à savoir : d’abord vérifier la réalité des faits et apprécier leur gravité ; puis statuer pour dire si oui ou non le contrat de travail pouvait continuer à s’exécuter compte tenu de ces manquements. Et ce, quelle que soit la date des faits.

Donc, même si des faits sont anciens (et ils l’étaient dans cette affaire), ils peuvent justifier une prise d’acte au tort de l’employeur dès lors qu’ils sont suffisamment graves. Ce qui revient à écarter purement et simplement la jurisprudence antérieure sur ce point.

L’employeur ne peut pas avoir causé le motif du licenciement

Des arrêts récents de la Cour de cassation viennent rappeler que le licenciement pour motif économique est abusif, lorsque la dégradation de la situation est imputable à l’employeur.

En toute matière, l’employeur ne peut pas se prévaloir d’un licenciement dont il serait à l’origine. Le licenciement est abusif quand son propre comportement en est la cause. Cela est notamment le cas en matière d’inaptitude, lorsqu’il est lui-même responsable, ne serait-ce qu’en partie, de la dégradation de l’état de santé du salarié (Cass. soc. 3 mai 2018 n°16-26306 et n°17-10306). Tel est le cas également en matière économique.

Ainsi le 24 mai 2018, la Cour de cassation validait la position de la Cour d’appel, qui avait estimé que les 74 licenciements intervenus dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société LEE COOPER FRANCE étaient abusifs (arrêt n° 16-22881). L’actionnaire de la société avait délibérément appauvri celle-ci, en la vouant à la liquidation : cession de certains droits à titre gratuit, factures délibérément impayées par les autres sociétés du groupe, etc.

Ce principe s’applique tout autant à l’échelle plus réduite d’une entreprise classique. Ainsi par exemple dans le cas d’un groupe composé de trois sociétés, dans lequel la société holding fait remonter à son bénéfice des dividendes hors de proportion avec les capacités des sociétés du groupe, ce qui conduit l’une des sociétés à disparaître (arrêt Cass. soc. 24 mai 2018 n° 17-12560).

Ces principes méritent d’être rappelés : ils signifient qu’en aucune façon l’employeur ne peut se prévaloir de ses propres fautes pour tenter de justifier un licenciement qui en serait la conséquence.

 

Encore un arrêt hostile à la démission

La Cour de cassation confirme encore une fois, à l’occasion d’un arrêt du 16 mai 2018, sa rigueur quant aux conditions de la démission. On le rappelle : le salarié peut démissionner ; mais dès qu’il le fait en raison de fautes qu’il reproche à son employeur, la démission est équivoque et doit être requalifiée en prise d’acte de la rupture du contrat de travail. Avec comme conséquences possibles l’obligation pour l’employeur de payer au salarié différentes indemnités si ses manquements sont jugés suffisamment graves.

Dans de nombreuses décisions la Cour rappelle que le juge doit contrôler l’intention du salarié, en allant au-delà de la lettre de démission qui a été envoyée. Une nouvelle illustration de cette rigueur ici : le salarié avait envoyé une lettre de démission sans réserves, sans rien reprocher à son employeur ; puis un mois plus tard il avait écrit à ce dernier pour indiquer que finalement, sa décision s’expliquait par l’absence de réponse aux revendications qu’il faisait depuis une année.

La Haute juridiction confirme sa position encore une fois, en censurant l’arrêt d’appel qui avait retenu l’existence d’une démission claire et non équivoque. La Cour de cassation estime que tel n’était pas le cas ; et que le juge devait apprécier si oui ou non la rupture du contrat était imputable à l’employeur en raison des manquements qu’il avait commis.

Référence : Cass. soc. 16 mai 2018 n° 16-26493

L’employeur assume les frais engagés par son salarié

La Cour de cassation rappelle dans une affaire originale que l’employeur « est tenu de garantir les salariés à raison des actes ou faits qu’ils passent ou accomplissent en exécution du contrat de travail. » Ce qui signifie qu’il est responsable financièrement des actes qui sont accomplis en exécution du contrat de travail.

Dans l’affaire en question un cadre avait été mis en cause par la justice pour une prétendue complicité d’abus de biens sociaux, accusations dont il a été innocenté. Pour se défendre il avait été contraint d’assumer des frais de justice importants, et notamment les honoraires d’un avocat. La Cour de cassation donne raison à la Cour d’appel, qui avait condamné l’employeur à assumer ces frais : le salarié avait accompli normalement ses fonctions et ces frais de justice étaient liés aux fonctions qu’il exerçait.

Référence : Cass. soc. 5 juillet 2017 n°15-13702

La dissimulation des heures supplémentaires accomplies est un manquement grave

Le salarié peut prendre acte de la rupture de son contrat de travail lorsqu’il est victime de manquements graves imputables à son employeur. Le juge va apprécier la gravité des manquements, mais l’on sait que lorsqu’ils touchent une obligation essentielle du contrat de travail, et notamment le paiement du salaire, le manquement est systématiquement grave.

La Cour de cassation en donne une nouvelle illustration dans son arrêt du 31 mai 2017 : le fait pour l’employeur d’avoir dissimulé les heures supplémentaires accomplies, c’est-à-dire le fait de les avoir escamotées des bulletins de paie, alors même que le salarié l’avait mis en demeure de les payer, constitue un manquement grave.

La rupture produit alors les mêmes effets qu’un licenciement abusif ; outre le fait, bien entendu, que le salarié pourra obtenir en justice le paiement de ses heures de travail.

On ajoutera qu’un tel comportement de l’employeur peut également être qualifié de travail dissimulé, qui sanctionné par la condamnation à payer une indemnité de six mois de salaires.

Références : Cass. soc., 31 mai 2017, n° 15-21546

L’articulation entre l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur, et le comportement (fautif ?) du salarié.

On le sait, l’employeur est tenu d’assurer la sécurité de son salarié, tant sur un plan physique que psychique ; il s’agit de l’obligation de sécurité de résultat, posée par l’article L 4121-1 du code du travail.

L’employeur peut-il sanctionner le salarié qui, de lui-même, exercerait son emploi dans des conditions dangereuses ?

Une cour d’appel estime que non.

La Cour d’appel de Rennes a statué le 9 juin 2017 sur le cas d’un salarié électricien qui avait effectué une intervention dangereuse, en se tenant debout sur la benne de son camion de service, sans aucun dispositif de sécurité. L’employeur l’avait licencié en estimant qu’il avait de lui-même violé les règles de sécurité applicables.

Le juge d’appel estime que le licenciement est abusif. L’employeur pouvait certes prendre toute décision pour qu’à l’avenir ce comportement ne se reproduise plus ; mais ici, le salarié comptait 33 années d’ancienneté dans la société, n’avait jamais fait l’objet du moindre reproche, et le comportement critiqué n’avait (fort heureusement) eu aucune conséquence.

Il convient toutefois d’être extrêmement prudent. L’employeur est autorisé à sanctionner un tel comportement ; c’est ici la proportionnalité entre la sanction et les circonstances qui a été critiquée par la cour d’appel.

Références : CA Rennes 9 juin 2017 n° 15/04 139